Jacqueline Harpman
Orlanda
1996
Dans Orlanda, Harpman
se propose de nous rapprendre à être égoïste. Cela ne se fera pas sans casse…
Traitant de ce qui enferme les femmes, les contraint, les réprime : elles-mêmes…et Maman…, Harpman nous livre une drôle d’étude sur le processus de « devenir femme », qu’elle oppose à l’enfance, libre de tout rôle. Cependant, son étude sur les contraintes de la féminité devient très vite, à l’image de son analyse d’Orlando de Woolf, une étude sur le fait de « devenir » tout court, de se laisser vieillir mentalement. Le vaccin : converser avec soi-même.
Poussant le thème du narcissisme (ou l’extrême inceste) à son paroxysme, les idées d’Orlanda sont intéressantes. C’est même malin. Au fil des pages, le livre s’éloigne de l’idée de la dualité de l’identité (masculin, féminin) pour étudier l’identité même du « je », qu’importe son sexe. L’émancipation de la femme qui définit enfin par elle-même sa propre féminité, oui, c’est bien, mais surtout, et avant tout, l’émancipation du « moi », car d’autres personnages se donnent aussi une vie. Et d’autres en perdent… On part d'un blâme simpliste contre la société et l’on arrive au carrefour des choix où l’action personnelle est enfin rendue possible.
Est-ce que ça valait le coup ? C’est intéressant du point de vue du lecteur en tant qu’étude pseudo-psychanalyste, et fort divertissant en tant que roman…
Mais…
Traitant de ce qui enferme les femmes, les contraint, les réprime : elles-mêmes…et Maman…, Harpman nous livre une drôle d’étude sur le processus de « devenir femme », qu’elle oppose à l’enfance, libre de tout rôle. Cependant, son étude sur les contraintes de la féminité devient très vite, à l’image de son analyse d’Orlando de Woolf, une étude sur le fait de « devenir » tout court, de se laisser vieillir mentalement. Le vaccin : converser avec soi-même.
Poussant le thème du narcissisme (ou l’extrême inceste) à son paroxysme, les idées d’Orlanda sont intéressantes. C’est même malin. Au fil des pages, le livre s’éloigne de l’idée de la dualité de l’identité (masculin, féminin) pour étudier l’identité même du « je », qu’importe son sexe. L’émancipation de la femme qui définit enfin par elle-même sa propre féminité, oui, c’est bien, mais surtout, et avant tout, l’émancipation du « moi », car d’autres personnages se donnent aussi une vie. Et d’autres en perdent… On part d'un blâme simpliste contre la société et l’on arrive au carrefour des choix où l’action personnelle est enfin rendue possible.
Est-ce que ça valait le coup ? C’est intéressant du point de vue du lecteur en tant qu’étude pseudo-psychanalyste, et fort divertissant en tant que roman…
Mais…
- On peut compter sur la présence des éléments répétitifs de l’œuvre d’Harpman : le crime, l’idée du vice, l’inceste, l’homosexualité qu’elle traite encore, comme un enfant, ou un adulte des années 80, en jeu alléchant et interdit plutôt qu’en sexualité, tout simplement. En auteur ironique et hyper-présent, Harpman se flatte tant d’un récit à la limite du choquant qu’elle ne remarque même pas que ces choses si « choquantes », sur lesquelles elle se flatte d’avoir l’esprit ouvert, ne choquent plus qu’elle.
- Ça reste un roman plein de substance, malgré tout, même si largement puisée dans l’œuvre d’autrui (Freud, Woolf, Balzac, Julien Green, Proust, Platon,…). Jacqueline Harpman sait raconter mais on dirait presque qu’elle n’a pas assez confiance en ses propres talent et imagination pour mener l’œuvre sans s’accrocher au canon littéraire et culturel. Si elle n’était pas si obsédée par l’idée d’étaler ses connaissances en (ré)citant plein de noms, nous n’aurions pas à avoir notre lecture troublée par des racistes et des P. Bien sûr, pour ce-dernier cas, Harpman ne pouvait pas savoir à l’époque, mais c’est une bonne leçon pour tout auteur : le livre doit se vendre par lui-même, pas par les hommages et palabres culturels. Pire, ceux-ci risquent de le tâcher.
- Orlanda est avant tout le vecteur par lequel Harpman nous expose ses pensées sur la littérature. Elle déploie avec insistance son esprit analytique à l’attention du grand public. Le style en devient un peu pompeux, un peu snob, plein de fatuité, une « qualité » qu’elle loue dans son personnage Orlanda comme un signe de confiance en soi, mais qui, ici, entrave son récit.
- Il y a de très bonnes pages, bien écrites, pourtant trop souvent suivies de passages où la force d’Harpman, le lyrisme intempestif, ajouté à la technique du « stream of consciousness » et à d’innombrables virgules à la place des points et points-virgules, devient sa faiblesse. En plein milieu d’une action, elle vous inflige des tirades littéraires et des métaphores et comparaisons à n’en plus finir. Si Orlanda invite la pensée et donne beaucoup, il en perd presqu’autant par son inhabilité à se décider : est-ce une histoire qu’on nous raconte ou est-ce l’écriture qui se raconte ? Harpman met tellement l’accent sur son style qu’il entrave l’histoire, pourtant plus intéressante. Les intrusions constantes du « je » de l’auteur-narrateur dans un récit déjà bourré d’identité(s), sont tour à tour drôles et agaçantes : au moment où le récit nous étonne et l’on s’imprègne de la narration lyrique (118), Harpman casse notre élan avec ses questions-réponses qui ramènent notre attention sur elle (119). C’est un bon auteur, en général, mais dans Orlanda, elle a du mal à s’oublier pour laisser son œuvre briller d’elle-même, et semble ne pas comprendre qu’on lit son livre pour son récit et non pour l’y trouver, elle.
Si, dans ce roman, l’écriture représente l’émancipation de
soi, eh bien, je dirais que Jacqueline Harpman s’émancipe un peu trop. Orlanda est chouette, drôle, intrigant,
et capte l’attention, mais son écriture trahit un gros besoin de la part de l’auteur
d’être estimée en tant qu’écrivain de littérature. Le livre promet l’évasion, le roman, et retombe plic-ploc-plac
dans le terre à terre. Au final, donc, ni Aline, ni Orlanda, ne se révèlent des
personnalités satisfaisantes. J'ai aimé le temps de lire; je ne relirai sans doute pas une seconde fois.
Tags: quand la femme crée la femme qui refait l'homme, androgynie vs. "devenir femme; avoir été homme" ou pourquoi ne pas habiter le corps de l'autre et voir si je m'y plais?, le masculin et le féminin qui sommeillent en chacun de nous, l'enfance vs. "Maman vous dit comment..." ou la psychanalyse féministe, l'homosexualité comme un interdit attrayant (Hello, the 90s!), narcissisme = extrême inceste; passages sexuels jusqu'au moment le plus croustillant où, évidemment, on se détourne vers le personnage raisonnable, un peu une peinture de la vie des bourgeois Ucclois-Forestois-Ixellois, remarques pertinentes, le "je" est-il plus que la somme du masculin et du féminin?, jeune homme blanc comme on s'y attend...ou presque!